La petite dame devant nous a posé la question :
- Il y a des réductions pour le troisième âge ?
Poliment, le jeune homme enfermé dans sa caisse vitrée a répondu :
- Non madame, pas le lundi.
Le lundi, au cinoche du Relais de la Côte de Beauté (à Saint-Georges-de-Didonne), l'entrée est à 5 euros. Alors évidemment... les réducs... Pour les vieux, en plus ! Dans le coin, il vaudrait mieux mettre un supplément pour les pas-trop-vieux, ça gagnerait du temps. D'autant que la mamy qui venait voir Mammuth avec sa copine, elle était plutôt bien fringuée ; son parfum ne sortait pas de l'hypermarché... N'empêche, quand vous voyez ça, les larmes vous viennent aux yeux, vous mesurez toute l'ampleur de la crise, de la misère qui s'abat sur le pauvre monde. Vite, Fifi, un peu de rigueur, que diable ! Qu'èsse t'attends pour mettre ce pays d'feignants au régime grec, bordel ?
Faut dire qu'en dépit de la criiiiiise, on avait rarement vu une telle foule au cinoche de Saint-Georges, un lundi soir. Une foule âgée, manifestement peu cinéphile dans son ensemble, mais une foule quand même. Une foule qui, à l'époque, ne s'était pas déplacée pour voir le sulfureux Louise Michel. Là, on s'était retrouvés à 3 pelés, 1 tondu et 2 naufrageurs... Alors, on s'est demandé quelles étaient les raisons du succès de Mammuth en ce lundi où rien, décidément, ne se passait comme un lundi. On a vite trouvé : Géraaaaard ! C'est pourtant un acteur assez déplorable Depardieu ; pas trop sympathique, de surcroît... Il fallait néanmoins croire qu'il jouissait encore d'une certaine popularité. Et nous qui pensions que la dernière star du cinéma français était Brigitte Bardot. Il allait falloir réviser nos jugements !
Et puis on s'est assis dans la salle. Et au fil des papotages de nos voisins et zines (nettement plus nombreuses que les zins), on a commencé à comprendre l'ampleur de notre erreur. Quelle désillusion ! Le gros Gérard, ils s'en foutaient comme de l'ancre à rente, nos spectateurs d'un lundi soir. Non, ils étaient venus voir leur région, celles qu'ils voient tous les jours mais ne regardent jamais. De nombreuses séquences de Mammuth sont en effet tournées dans le coin. Depardieu prospecte sur la plage, gueule dans la cathédrale, ne danse pas au Rancho, fait un tour de manège, traverse champs et bois avec sa moto... Nous, on ne savait même pas que Kervern et Delépine avaient tourné ici. Ignorance qui, au demeurant, n'aurait rien changé. Remarquez, connaissant un peu le Pays royannais, on aurait pu s'en douter. Un coin de France où on emploie les gens sans les déclarer, sans leur donner de bulletins de salaire, en les payant au lance-pierres et en se foutant de leur gueule... ça pouvait être ailleurs, sans doute, mais c'était forcément ici, en terre sarkozyste. À la sortie, ils étaient un peu déçus, les retraités en vadrouille : les paysages vus d'une moto en mouvement sont difficiles à reconnaître !
Il pouvait pas y aller à pieds, comme tout l'monde, chercher ses putains d'papiers, ce con ?
Bon, et le film dans tout ça ? À notre très humble et très incompétent avis, il se situe bien au-dessus de la moyenne du cinéma français actuel, ce qui est à peine un compliment. Mammuth relève plus de la télé que du cinéma, c'est vrai, mais de la télé comme on aimerait pouvoir l'aimer ! Voilà pour la forme. Sur le fond, en revanche, c'est cruellement réaliste et drôle à la fois. On disait ça de Chaplin. Et là, c'est un vrai compliment ! Et puis, on se marre si peu de nos jours... Depardieu trouve ici son meilleur rôle depuis longtemps, et Yolande Moreau y est — comme toujours — éblouissante ! On l'a déjà dit mais on ne se lassera jamais de le répéter : Yolande, Présidente !